Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Contact

  • : Le blog du Barreau des coteaux
  • : La juridiction du Tribunal de première instance des Coteaux fonctionne depuis 2003 sans barreau ni cabinet d'avocat dans la zone. Ces carences sont à l'origine de violations de droits de l'homme et d'abus d'autorité envers les populations rurales. Dans ce cadre, nous sommes convaincus de l'importance de la présence active et structurée d'avocats militants pour le bon fonctionnement de la justice dans le département du Sud d'Haïti. La création du barreau de l'ordre des avocats des Coteaux
  • Contact

Le Barreau des Coteaux

Le Barreau des Coteaux a été créé le 5 mai 2010, 7 ans après la mise en place du Tribunal de Première Instance des Coteaux. Celui-ci a fonctionné durant ces longues années sans Barreau ni cabinets d'avocats installés dans la zone, ce en violation de la loi.

La création du Barreau s'inscrit dans la volonté de lutter contre les violations des droits de l'homme, les dysfonctionnements de la justice et les abus d'autorité envers les populations rurales. Mis en place suite à la catastrophe du 12 janvier 2010, ce Barreau entend participer au renforcement de l'appareil judiciaire par la présence active et structurée d'avocats militant dans le département du Sud d'Haïti. Cette catastrophe, qui a ravagé la capitale et provoqué un flux massif de population vers les provinces, nécessite de repenser l'organisation sociale, politique, économique et judiciaire du pays en renforçant notamment les structures locales.

16 novembre 2010 2 16 /11 /novembre /2010 05:07

Atelier du groupe de travail « Etat de droit »

sur le processus électoral Tribunal de Première Instance des Coteaux

Vendredi 12 novembre 2010

 

« L’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire

Dans le contexte électoral »

Intervention du Bâtonnier de l’ordre des avocats des Coteaux, Me Jacques LETANG

 

P1030511.JPGLe Barreau ne peut que se réjouir de l’organisation de cet atelier départemental sur l’Etat de droit, tenu dans la juridiction des Coteaux avec le soutien de la MINUSTAH et la participation des autorités civiles, judiciaires et policières du département. Cet atelier revêt une double importance en ce que d’une part, il se réalise dans un contexte électoral qui s’annonce difficile avec la constatation de nombreux actes attentatoires aux droits et libertés individuels et que, d’autre part, il permettra aux différents acteurs d’effectuer un bilan intermédiaire de la situation, qui, nous l’espérons, pourra faire avancer les choses dans le bon sens.

Le thème de cet atelier amène le Barreau à rappeler l’attention sur des principes essentiels à l’existence de toute société démocratique : il s’agit des principes de l’indépendance et de l’impartialité de l’institution judiciaire, qui constituent le thème de notre intervention aujourd’hui. En effet, la séparation des pouvoirs est une garantie essentielle pour la démocratie, consacrée par les articles 59, 59-1, 60, 60-1 et 60-2 de la Constitution haïtienne du 29 mars 1987. Le pouvoir judiciaire est un organe fondamental, qui ne peut exercer efficacement et convenablement sa fonction d’appliquer la loi que s’il jouit d’une indépendance réelle par rapport aux deux autres pouvoirs, législatif et exécutif.

Il faut en effet bien comprendre la substance de la notion d’ « Etat de droit » qui est au centre de nos réflexions aujourd’hui. La notion d’Etat de droit impose la suprématie, la primauté du droit dans l’Etat, droit qui doit être respecté par l’ensemble des citoyens d’un Etat mais également par les trois pouvoirs eux-mêmes, qui ne peuvent se considérer au-dessus des lois. C’est au pouvoir judiciaire qu’il appartient d’imposer le respect du droit à l’ensemble de ces acteurs. Mais comment pourrait-il exercer convenablement cette fonction s’il subit des pressions de la part des deux autres pouvoirs ?

L’indépendance et l’impartialité des magistrats sont donc des principes incontournables du système démocratique et jouent un rôle essentiel dans le respect des droits fondamentaux de la personne humaine. Ces principes sont consacrés par de nombreux instruments internationaux de protection des droits de l’homme. Selon l’article 8 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme de 1969 par exemple, qui reprend en partie l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 : « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue avec les garanties voulues, dans un délai raisonnable, par un juge ou un tribunal compétent, indépendant et impartial ».

Ces principes d’indépendance et d’impartialité sont également explicités dans la loi du 27 novembre 2007 portant sur le statut de la magistrature. Selon l’article 33 de cette loi, « Les juges sont indépendants, tant à l’égard du pouvoir législatif que du pouvoir exécutif, ils n’obéissent qu’à la loi et ne peuvent s’en affranchir, même pour des motifs d’équité. Ils sont aussi indépendants entre eux dans leurs fonctions juridictionnelles. Leurs décisions peuvent être infirmées, cassées ou annulées par les juridictions supérieures, mais celles-ci ne peuvent les contraindre à juger autrement qu’ils ne peuvent ».

Il sied de rappeler que l’une des garanties essentielles du principe d’indépendance du pouvoir judiciaire repose sur le principe d’inamovibilité des magistrats, principe garanti par l’article 177 de la Constitution qui énonce que : « Les juges de la Cour de Cassation, ceux des Cours d’appel et des Tribunaux de Première instance sont inamovibles ». Il faut cependant remarquer avec cet article que les Juges de Paix comme les Officiers du Parquet ne bénéficient pas de cette règle d’inamovibilité et sont donc beaucoup moins protégés contre les risques de pressions politiques qui pèsent sur leur fonction. Cette situation nécessite une vigilance particulière de leur part et de tous pour être à même de neutraliser ces pressions éventuelles.

Il faut par ailleurs soulever un autre problème, lié au manque de compétence de nombreux magistrats, qui ne sont pas à même d’appliquer convenablement la loi et commettent régulièrement des actes arbitraires et illégaux. Le défaut de compétence est un facteur aggravant les menaces contre l’indépendance des magistrats dans la mesure où ceux-ci ne possèdent pas toujours les moyens intellectuels suffisants pour s’en tenir à leur propre fonction et refuser de se plier aux pressions diverses.

P1030524.JPGLe processus électoral est une période particulièrement cruciale dans l’activité du pouvoir judiciaire qui se doit de faire respecter les droits civils et politiques de l’ensemble des citoyens et de tous les candidats aux élections, droits garantis notamment par l’article 31 de la Constitution haïtienne et par l’article 23 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme.

Cependant, cette période électorale est manifestement la scène de pressions de la part du pouvoir politique, qui se permet trop souvent de tenter d’influencer l’institution judiciaire dans le but de favoriser l’élection de son camp politique et de mettre en œuvre des pratiques d’intimidation à l’encontre de ses opposants.

Le Barreau des Coteaux s’est déjà vu dans l’obligation de publier un communiqué de presse datant du 28 octobre 2010 et d’alerter l’OEA, la MINUSTAH ainsi que les organisations de défense des droits de l’homme au sujet de nombreux cas d’actes arbitraires et de violations des droits de l’homme qui ont vraisemblablement été pris pour des raisons politiques ou sur la base de pressions de la part de personnalités politiques dans la juridiction du Tribunal de Première Instance des Coteaux.

Il ne s’agit pas ici d’aborder en détail chaque cas, mais de vous alerter sur les différents problèmes que peut susciter la période électorale au sein de l’organe judiciaire, qui peuvent nuire à l’indépendance des magistrats et entrainer manifestement une partialité dans l’exercice de leur fonction.

Le Barreau a été amené depuis le début de la période électorale à observer de nombreux cas d’arrestations arbitraires et d’émission de mandats illégaux pris contre des militants politiques hors de tout cas de flagrant délit et alors même qu’il n’existait à leur encontre aucun début de preuve de leur implication dans la commission d’une quelconque infraction. Certains Juges de Paix se sont par ailleurs permis d’émettre des mandats sur la base de simples dénonciations émanant vraisemblablement de personnalités politiques proches du parti au pouvoir alors même que selon un arrêt de la Cour de cassation du 24 avril 1860 : « La dénonciation seule ne constitue pas une présomption suffisante pour décerner un mandat d’amener contre un individu ayant domicile ».

Tout récemment, une personne victime de voies de fait qui avait saisi sur-le-champ le Juge de Paix s’est vu décerner à son encontre une lettre d’invitation et de façon concomitante un mandat d’amener l’inculpant elle-même pour voies de fait. Cette violation particulièrement grave de la loi illustre la démarche de certains magistrats qui se permettent de dénaturer les faits et de saisir le moindre prétexte en vue d’exercer des actes arbitraires contre des militants politiques.

Sans entrer dans de plus grands détails concernant ces affaires, le Barreau tient à rappeler que douze cas de menaces graves contre la liberté individuelle et les droits politiques de douze militants politiques ont pu être comptabilisés dans la seule commune de Port-à-Piment en l’espace de quelques semaines. Nous n’avons pas le temps ici d’aborder d’autre cas, tel que celui de Tiburon, où un affrontement entre différents militants politiques a été l’occasion pour la police et les magistrats d’arrêter illégalement le chauffeur d’un candidat de l’opposition, qui n’était même pas sur les lieux, et de confisquer sans fondement plusieurs véhicules attribués à la campagne électorale.

Dans ce contexte, le Barreau ne peut que se questionner sur l’existence d’une stratégie globale qui se déploierait au sein même de l’organe judiciaire visant à intimider les partisans de camps politiques de l’opposition et à retenir certains d’entre eux en détention, au moins jusqu’aux élections. En pareil cas, le Barreau a pu percevoir la peur de certains magistrats qui hésitent à assumer leur responsabilité pour appliquer la loi et contrôler, sur requête des avocats, les agissements arbitraires de certains juges.

Le Barreau a par ailleurs été informé de façon officieuse de la pratique anormale de certains Officiers du Parquet qui tenteraient, sur la base de leur supériorité hiérarchique, d’influencer certains Juges de Paix et de les pousser à commettre des actes arbitraires et illégaux contre leur gré, pratique qui enfreint toutes les règles fondamentales que nous avons rappelées dans cet exposé, et notamment l’article 33 de la loi sur le statut de la magistrature qui garantit l’indépendance des juges entre eux. Encore une fois, le Barreau appelle à la vigilance de tous et de chacun et exhorte les Officiers du Parquet, acteurs chargés de l’application de la loi, à contribuer effectivement au maintien et au renforcement de l’Etat de droit dans notre pays.

Après avoir constaté l’ensemble des problèmes sus évoqués, il y a lieu d’émettre des suspicions légitimes concernant certains magistrats et l’intérêt personnel qu’ils pourraient avoir dans le traitement des dossiers sensibles politiquement. Nous tenons à rappeler que cet intérêt personnel est une cause de récusation prévue à l’article 435 qui s’énonce comme suit : « les juges de paix pourront être récusés quand ils auront intérêt personnel à la contestation » du livre 5 du Code de procédure civile intitulé « De la procédure visant à garantir la distribution d’une saine justice ». Selon la doctrine, « la suspicion légitime constitue une cause de renvoi fondée sur la notion d’indépendance des juges : elle existe lorsque des passions locales peuvent influencer les juges en faveur ou contre l’accusé ou le prévenu ». Le Barreau tient à mettre en garde les magistrats contre un certain sentiment d’impunité qu’ils pourraient développer à l’égard de leurs propres actes.

En conclusion, le Barreau tient à faire part d’un autre type de menaces qui touche à l’institution judiciaire. En effet, le Barreau a été mis au courant que des individus mal intentionnés proches du parti au pouvoir chercheraient à s’en prendre physiquement à certains avocats militants trop gênants, qui ont jusqu’à présent empêché la réalisation de nombreux actes arbitraires. Le Barreau tient à alerter l’institution judiciaire, les personnalités présentes ainsi que les médias du caractère particulièrement grave de ces menaces qui visent à intimider et à atteindre physiquement les avocats, premiers défenseurs des libertés individuelles.

Enfin, il semble que certains considèrent que l’intervention des avocats pour la défense des droits et libertés de leurs clients constitue une pratique anormale. Le Barreau doit admettre qu’il peut malheureusement paraitre anormal pour certains que des avocats se permettent de rappeler aux magistrats, avec vigueur et détermination, l’importance des principes d’indépendance et d’impartialité ainsi que leur obligation de respecter et de faire respecter la loi, et seulement la loi. Merci.

Partager cet article
Repost0

commentaires