Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Contact

  • : Le blog du Barreau des coteaux
  • : La juridiction du Tribunal de première instance des Coteaux fonctionne depuis 2003 sans barreau ni cabinet d'avocat dans la zone. Ces carences sont à l'origine de violations de droits de l'homme et d'abus d'autorité envers les populations rurales. Dans ce cadre, nous sommes convaincus de l'importance de la présence active et structurée d'avocats militants pour le bon fonctionnement de la justice dans le département du Sud d'Haïti. La création du barreau de l'ordre des avocats des Coteaux
  • Contact

Le Barreau des Coteaux

Le Barreau des Coteaux a été créé le 5 mai 2010, 7 ans après la mise en place du Tribunal de Première Instance des Coteaux. Celui-ci a fonctionné durant ces longues années sans Barreau ni cabinets d'avocats installés dans la zone, ce en violation de la loi.

La création du Barreau s'inscrit dans la volonté de lutter contre les violations des droits de l'homme, les dysfonctionnements de la justice et les abus d'autorité envers les populations rurales. Mis en place suite à la catastrophe du 12 janvier 2010, ce Barreau entend participer au renforcement de l'appareil judiciaire par la présence active et structurée d'avocats militant dans le département du Sud d'Haïti. Cette catastrophe, qui a ravagé la capitale et provoqué un flux massif de population vers les provinces, nécessite de repenser l'organisation sociale, politique, économique et judiciaire du pays en renforçant notamment les structures locales.

22 avril 2015 3 22 /04 /avril /2015 00:31

 

 

Forum Citoyen pour la Réforme de la Justice, des pratiques de l'Etat et de la société civile, 22 avril 2015

 

Communication de Me Jacques LETANG :

"L'indépendance des juges dans le système judiciaire haïtien : avancées et résistances"

________________________________________________________

  lien vers un article du nouvelliste : http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/143986/Plaidoyer-pour-une-reforme-de-la-justice-en-Haiti 

     

Mesdames et Messieurs les organisateurs de ce forum, distingués invités, je suis particulièrement heureux de participer aux réflexions de cette journée sur la réforme de la justice, des pratiques de l'Etat et de la société civile. Ma communication porte sur "l'indépendance des juges dans le système judiciaire haïtien : avancées et résistances".

 

"La justice ne règne pas seulement par ses décisions; elle domine surtout par la confiance qu'elle inspire". Voici peut être résumé en une phrase l'essence même de la démocratie, qui repousse une vision autoritaire du pouvoir au profit d'une conception à la fois partagée et égalitaire de la gestion de la chose publique et de la vie en société. Dans ce contexte, la justice est perçue comme un service public, au sein duquel le juge devient le garant de la confiance de l'individu envers la société, garant de la stabilité et de la paix sociales.

Nous n'avons peut être pas encore pris la mesure de l'importance que devrait avoir la contribution des juges à l'établissement et au renforcement de l'état de droit. Presque trente ans après l'adoption de notre constitution qui consacre formellement le principe de la séparation des pouvoirs et celui, corollaire, de l'indépendance du pouvoir judiciaire, pouvons nous dire aujourd'hui que la justice inspire confiance? Il suffit malheureusement d'ouvrir la radio pour entendre parler, comme encore ces derniers jours, de nouveaux scandales qui entament toujours un peu plus la crédibilité de nos institutions. Instrumentalisation politique, corruption, trafic d'influence, arbitraire, impunité, incompétence... L'indépendance est certes proclamée dans les textes ; elle n'est cependant pas confirmée dans la pratique.

Les trois lois de 2007 représentent pourtant une avancée considérable pour le renforcement du pouvoir judiciaire pris dans sa globalité mais aussi pour les juges qui, individuellement, le composent. Elles viennent cristalliser les principes énoncés dans la Constitution en mettant en avant des garanties précieuses et concrètes pour les magistrats. Je vous propose avec cette communication de cheminer au sein de ces textes pour relever à la fois les avancées qu'ils comportent, les insuffisances qu'ils recèlent mais aussi les forces de résistances qui s'opposent à leur mise en œuvre effective.

La justice ne peut être indépendante si ceux qui la rendent ne le sont pas. Il s'agit là du point cardinal de cette communication sur l'indépendance des juges, composante de l'indépendance de la justice. A cet égard, j'affectionne particulièrement l'article 33 portant statut de la magistrature qui trace les grandes lignes du principe, je cite : "Les Juges sont indépendants, tant à l'égard du Pouvoir Législatif que du Pouvoir Exécutif. Ils n'obéissent qu'à la Loi et ne peuvent s'en affranchir, même pour des motifs d'équité. Ils sont aussi indépendants entre eux dans leurs fonctions juridictionnelles. Leurs décisions peuvent être infirmées, cassées ou annulées par des juridictions supérieures, mais celles-ci ne peuvent les contraindre à juger autrement qu'ils ne pensent".

Si cette disposition a toute son importance, la proclamation de  cette indépendance ne suffit pas. Elle doit se matérialiser par l'adoption de garanties statutaires conférées aux magistrats, qui les protègent à la fois des ingérences externes mais aussi des rapports hiérarchiques avec leur administration. Les juges ne sont pas en effet des fonctionnaires comme les autres! La doctrine relève généralement quatre grands domaines qui réclament des protections particulières : le recrutement ; la stabilité et l'avancement de la carrière ; et l'exercice de la discipline. Les trois lois du 13 novembre 2007, portant respectivement sur le fonctionnement de l'Ecole de la Magistrature, sur le statut de la magistrature et sur la création du CSPJ viennent apporter des réponses, certes partielles, à ces défis.

1) Le recrutement.

La loi relative à l'Ecole de la Magistrature vient renforcer l'option théoriquement privilégiée par notre système judiciaire : la sélection sur concours donnant lieu à une formation initiale adaptée et spécifique. Cette option permet à la fois de privilégier la compétence, de soustraire la nomination de l'opportunisme politique et de favoriser des vocations pour la magistrature.

Depuis sa mise en place, l'Ecole fait peur, car les politiciens mesurent le degré d'indépendance qu'elle pourrait introduire et diffuser dans le système. De ce fait, elle a été négligée, et les dispositions de la loi de 2007 n'ont toujours pas été mise en application. Pour preuve, le Conseil d'administration n'est toujours pas installé! On peut percevoir le mépris avec lequel sont traités les élèves magistrats, à l'exemple de la dernière promotion dont les élèves ont attendu de nombreux mois avant d'être nommés... le plus souvent à des postes de suppléant juge de paix !  Sans parler des tentatives pour renouer d'une manière ou d'une autre l'influence sur des magistrats qui ne doivent rien à personne, en cherchant à organiser par exemple la remise des commissions au sein même du palais national, prétention particulièrement incongrue à l'heure de l'indépendance.

L'enjeu est là : faire du magistrat un débiteur du responsable politique qui le nomme. C'est tout le danger du mécanisme d'intégration directe qui, parallèlement à l'intégration par concours,  continue de placer la nomination sous le poids de l'influence politique, mêlant étroitement exécutif et législatif. Non seulement les magistrats ainsi nommés ne sont généralement pas choisis en fonction de leur compétence, mais qui plus est un doute se creuse sur l'éventuelle allégeance du magistrat à ceux dont il se croit redevable. Le poids de cette "dette" s'accroit encore lorsque les conditions de nominations sont sujettes à polémiques et sont interprétées comme étant une  "faveur" octroyée personnellement au juge par tel ou tel responsable politique.

Les lois de 2007 cherchent à renforcer la procédure de nomination pour éviter ce genre de dérives, en associant notamment le CSPJ qui doit formuler un avis favorable pour les nominations des magistrats du siège. Dans la continuité des dispositions constitutionnelles, la loi prévoit par ailleurs un mécanisme complexe de nomination faisant intervenir pour les tribunaux de première instance et d'appel les collectivités territoriales chargées de proposer des listes de candidats au Président de la République. Ce système, relativement lourd, n'a jamais pu entrer en vigueur faute de la mise en place de ces institutions, créant ainsi un flou préjudiciable au fonctionnement régulier du système.

2) L'inamovibilité.

La Constitution consacre en son article 177 le principe d'inamovibilité  pour les juges du siège. Il s'agit d'une garantie importante dans la mesure où le pouvoir ne peut ainsi les destituer, les muter ou même leur donner une promotion sans leur consentement. Cette garantie est cependant fortement limitée par le caractère temporaire du mandat octroyé au juge, équivalent à 10 ans pour les juges de la Cour de Cassation et des Cours d'appel, et 7 ans pour les Tribunaux de Première Instance.

L'enjeu se cristallise ainsi autour de la question du renouvellement du mandat, comme nous avons pu le constater ces derniers temps avec l'exemple du doyen des Gonaïves, qui a vu sanctionner son indépendance de caractère par un mur dressé devant sa carrière de magistrat. La loi de 2007 a pourtant apporté certains verrous en prévoyant l'émission d'un avis favorable du CSPJ qui doit théoriquement être suivi par le Président de la République. Force est cependant de constater que l'exécutif n'a pas toujours jugé bon de respecter cette exigence, en procédant unilatéralement à la nomination et au renouvellement du mandat des magistrats selon ses propres critères, sans tenir compte des listes communiquées par le CSPJ.

La question est encore plus aigüe pour les magistrats du parquet et les juges de paix qui ne bénéficient pas d'un mandat, et ne sont donc pas protégés par l'inamovibilité. Il s'agit là d'une des premières limites du principe d'indépendance, dont les garanties se restreignent pour l'essentiel aux juges du siège, excluant les magistrats debout, officiellement placés sous la hiérarchie directe du pouvoir exécutif. Il faut cependant noter la nuance apportée par la loi de 2007 qui parle à plusieurs reprises des "magistrats" dans leur ensemble, sans se restreindre aux juges de siège, ce qui laisse entendre que le CSPJ aurait une compétence, certes plus limitée, envers les Parquetiers.

Par ailleurs, il faut mettre l'accent sur l'article 34 de la loi portant sur le statut de la magistrature qui énonce que, parallèlement à leur mission d'officiers de police judiciaire, "les juges de paix, dans leur activité juridictionnelle, sont des juges et à ce titre indépendants". Dans ce cadre, la loi de 2007 place les juges de paix sous l'autorité directe du CSPJ, ce qui représente un acquis considérable qui pourra je l'espère révéler toute sa force durant la période électorale, en soustrayant aux pouvoirs exécutif et législatif un de leur instrument privilégié pour orienter et contrôler sur le terrain le processus électoral. Il faudra attendre ici le CSPJ pour mesurer ses capacités à s'engager véritablement en faveur de la consolidation de la démocratie, en observant dans quelle mesure il se donnera les moyens d'empêcher concrètement les dérives judiciaires généralement suscitées par les enjeux électoraux.

3) La carrière.

Au-delà de la question de la nomination, les lois de 2007 prévoient de soustraire le cheminement du métier de magistrat des mains de l'exécutif pour le confier au CSPJ, nouvel organe régulateur qui se doit d''encadrer les modalités d'affectation et d'avancement des juges afin qu'elles reposent désormais sur des règles d'application objective et transparente. La question est évidente : un juge ne pourra se sentir indépendant s'il sait que sa carrière est entre les mains d'un organe politique à qui il devrait alors plaire, ou, du moins, éviter de déplaire. Malheureusement, jusqu'à présent, le CSPJ n'a pas été en mesure de mettre en place les mécanismes prévus par la loi, notamment le tableau de cheminement qui doit refléter les états de service de chaque magistrat. Le CSPJ n'est donc pas à même de promouvoir comme le veut la loi à la fois l'indépendance, la compétence et l'intégrité ; les décisions de mutation et de promotion restant ainsi le plus souvent liées  à des considérations d'opportunité ou d'influence politique.

4) La responsabilité et la discipline.

Il s'agit là d'un point incontournable. L'indépendance du juge n'a de valeur que si elle permet au magistrat d'appliquer la loi de manière égale pour tous. Pour cela, il faut avant tout rappeler un principe cardinal : l'indépendance n'est pas octroyée aux juges dans leur intérêt propre mais elle leur est garantie dans l'intérêt des justiciables. Les juges sont certes indépendants, mais ils ne sont pas pour autant libres de faire ce qu'ils veulent. Le juge est chargé de dire le droit, dans le cadre de ce que l'on appelle précisément la juridiction : Juris dictio, dire le droit. Il n'a pas à inventer des règles selon ses opinions personnelles ou en faisant prévaloir son point de vue individuel. C'est ici que le principe d'indépendance se mêle intimement avec le principe d'impartialité. Si l'indépendance consiste à protéger le magistrat des ingérences extérieures, l'impartialité est plus complexe, et se rapporte au for intérieur du magistrat, à toutes les pressions qui peuvent négativement influencer son jugement. Pour préserver la justice de ces pressions multiples, des règles éthiques et déontologiques doivent nécessairement guider et orienter la conduite du magistrat.

En ce sens, si le juge commet une faute, sa responsabilité doit pouvoir être engagée. L'article 65 de la loi portant statut de la magistrature est clair : "tout manquement par un magistrat à la loi, à l'honneur ou au devoir de son état, constitue à sa charge une faute disciplinaire". Il faut comprendre toute la délicatesse entourant cette question. S'il faut pouvoir engager la responsabilité du juge lorsqu'il sort du chemin tracé par la loi, il faut à tout prix éviter que cette procédure devienne un prétexte pour reprendre du pouvoir sur les juges, et remettre en cause leur liberté juridictionnelle. A ce niveau, les lois de 2007 introduisent un élément essentiel en faisant du CSPJ l'autorité disciplinaire susceptible de connaître des plaintes déposées contre les juges. Cette option permet ainsi de se prémunir des considérations d'opportunité pour conjuguer les principes a priori contradictoires d'indépendance et de responsabilité.

Ici encore, il faut constater des insuffisances. Jusqu'à présent le CSPJ n'est pas parvenu à se structurer suffisamment pour examiner l'ensemble des plaintes conformément à la procédure prévue par la loi, qui, il faut le reconnaitre, est assez complexe. Depuis trois ans, l'inspection judiciaire n'a toujours pas été mise sur pied. Seules quelques dizaines de plaintes sur les centaines déjà reçues ont fait l'objet d'un examen préliminaire, qui lui même n'atterrit pas toujours. Le CSPJ n'a pas encore clairement les moyens de mener ce travail de manière à la fois informée et impartiale. Un processus de certification des juges en fonction a été parallèlement mis sur pied ; mais il fait l'objet de nombreux débats et de plusieurs contestations concernant la légitimité même de sa composition et de son fonctionnement.

""""""""""""""""""""""""""""""

Nous pourrions évoquer encore longtemps les garanties statutaires prévues par la loi, essentiellement reconnues aux juges du siège. Mais je voudrais m'attarder maintenant avec vous sur l'épineuse question de la gestion des transitions, mise en lumière par le doyen Carcassonne, grand constitutionnaliste français. Je cite : "Lorsque l'on veut passer d'un système insatisfaisant à un système satisfaisant, comment doit on faire, et avec qui? Face à un système judiciaire asservi ou vénal, faut-il commencer par le purger - ce qui n'est déjà pas chose aisée - pour ensuite seulement apporter des garanties d'indépendance à des juges nouveaux, ou faut-il commencer par les garanties, quitte à ce qu'elles profitent tout d'abord à ceux qui, dans le passé, ont eu des pratiques détestables et dont on est en droit de se défier?"

Cette question se pose au niveau des juges, qui ne semblent pas forcément prêts pour la plupart à conquérir et à démontrer cette indépendance qu'on voudrait leur garantir. J'ai eu l'occasion de comprendre à quel point le corporatisme judiciaire est peut être la première force de résistance à un véritable changement des pratiques. Les magistrats ne perçoivent pas toujours ce qu'ils peuvent avoir à gagner avec l'indépendance ; nombreux perçoivent en revanche ce que de véritables réformes en faveur d'une bonne administration de la justice pourraient impliquer en termes de remises en cause de privilèges indus et d'intérêts mal acquis.

Cette question se pose également au sein même du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire. Assurer l'indépendance des magistrats, c'est en effet assurer d'abord celle de l'organe qui préside au déroulement de leur carrière. Pour cela, la légitimité du CSPJ est intimement liée à son caractère collégial : il est composé dans sa très grande majorité de magistrats élus ou désignés qui sont ainsi censés incarner le principe de l'auto-administration de la justice, concrétisation de la séparation des pouvoirs. La collégialité devrait permettre de garantir cette indépendance et de protéger les Conseillers pris individuellement. Elle s'est cependant révélée dans les faits être un refuge à la fois pour l'ingérence politique, l'immobilisme, la déresponsabilisation et la mise en porte-à-faux des porteurs d'initiatives et des défenseurs des principes. Le bilan, à l'issue de ces trois premières années de mandat, n'est malheureusement pas bon. Mais comment envisager autre chose quand les personnes qui sont mises à la tête de ce qui devrait être une institution progressiste sont majoritairement des représentants qui ont baigné, leur carrière durant, dans les mauvaises pratiques?

 

Lors de mon discours d'investiture au CSPJ, il y a déjà deux ans, je reprenais en guise de conclusion la mise en garde suivante : « L’indépendance est un droit, mais c’est aussi un devoir ». Je formulais alors le vœu que le CSPJ se révèle être une autorité régulatrice qui, non seulement, donne elle-même l’exemple de l’indépendance, de la rigueur et de l’efficacité, mais encore protège et favorise de ce fait l’indépendance, la rigueur et l’efficacité de l’institution toute entière. A la fin de cette troisième année d'existence, je ne suis malheureusement pas sûr de pouvoir dire que les Conseillers, réunis ensemble au sein de cette haute institution, se soient révélés à la hauteur de la tâche.

Pour finir, je souhaiterais vous laisser sur ces quelques mots, à méditer : "L'indépendance, c'est le gout de la liberté".

Merci.

L'indépendance des juges : avancées et résistances
Partager cet article
Repost0
13 avril 2015 1 13 /04 /avril /2015 00:53

 

CONSEIL SUPERIEUR DU POUVOIR JUDICIAIRE

Note du Conseiller Jacques LETANG

relative à la problématique du mandat des juges et de la validité du processus électoral visant au remplacement du représentant des Juges de Première Instance au CSPJ

le 13 avril 2015

 

Le CSPJ a été mis en place en application de la loi du 13 novembre 2007 pour devenir l'organe régulateur du Pouvoir judiciaire. Dans l'exercice de mes fonctions au sein de cette haute institution, il m'a paru essentiel de m'impliquer en faveur de l'assainissement du système qui voit de nombreux juges rester en fonction ou continuer à percevoir salaire et avantages malgré la fin de leur mandat. Suite à une véritable bataille qui m'a valu une première campagne de dénigrement au sein de la magistrature, le CSPJ a finalement acté la nécessité de remédier à ces situations irrégulières et a officiellement demandé à l'administration de mettre un terme à ces mauvaises pratiques qui nuisent à la bonne marche de la justice. J'ai pu à cette occasion mesurer les forces de résistance et de conservatisme d'un système qui cherche à protéger les intérêts acquis et les avantages illégaux en s'opposant par tout moyen aux mesures progressistes.

Cette problématique de la carence de mandat se décline également au niveau de plusieurs Doyens qui officient dans les Tribunaux de Première Instance alors qu'ils n'ont jamais reçu de commission de juge, ou alors que celle-ci est arrivée à expiration. Il s'agit d'une violation des dispositions constitutionnelles et légales qui assimilent clairement le grade de Doyen à une charge administrative qui doit être confiée à l'un des juges du Tribunal et qui est indissociable de cette qualité. Le Conseil a récemment tenu plusieurs séances sur cette question et a décidé d'entreprendre un processus systématique de révision des dossiers des juges, sur la base duquel un processus de remplacement des Doyens sans qualité devait être mis en œuvre.

Concomitamment,  le CSPJ a entamé un processus de renouvellement de la plupart de ses membres élus et désignés. Dans ce cadre, la Commission Carrière Judiciaire s'est penchée sur les dossiers des différents candidats pour vérifier la validité de leur mandat. Or, il s'est avéré que les deux candidats à la fonction de représentant des juges de première Instance n'avaient pas la qualité requise, puisque le mandat de Monsieur VAVAL, Doyen des Cayes, est arrivé à expiration depuis 2014 et que Monsieur MASSILLON, Doyen de Saint Marc, a irrégulièrement été désigné Doyen sans avoir jamais obtenu de commission de juge. L'article 4 de la loi du 13 novembre 2007 portant création du CSPJ est pourtant sans ambiguïté : le CSPJ doit être notamment composé  de :" d. Un Juge de la Cour d'Appel, élu par ses pairs desdites Cours à la majorité relative ; e. Un Juge de Tribunal de Première Instance élu par ses pairs à la majorité relative".

Alerté du problème, le CSPJ s'est réuni en séance extraordinaire le vendredi  10 avril 2015.  Cependant, contre toute attente, et alors que la majorité des Conseillers étaient conscients du caractère non seulement irrégulier mais illégal de la présentation de candidats sans qualité, le Conseil s'est positionné en faveur de la poursuite du déroulement des élections, qui  ont ainsi abouti à la désignation comme représentant des juges de première instance de Monsieur MASSILLON, lequel n'a pourtant jamais eu cette qualité de juge!

 

 

Le CSPJ  a ainsi fait le choix de poursuivre les mauvaises pratiques du Ministère de la Justice en s'éloignant délibérément du chemin tracé par la loi, ce pour des "raisons d'opportunité" injustifiables. Il me faut d'ailleurs exprimer ici ma plus vive désapprobation à l'égard de plusieurs Conseillers qui, tout en cherchant à afficher publiquement leur engagement en faveur de l'amélioration de la justice, acceptent dans les faits de transiger sur les principes et se permettent même de soutenir des campagnes de dénigrement à l'égard des membres qui s'engagent jusqu'au bout en faveur du respect de la loi. Le CSPJ ne pourra jamais être à la hauteur de sa mission si les membres qui le composent ont une si petite idée de la justice.

De ce fait, en ma qualité de Membre du CSPJ, représentant de la Fédération des Barreaux d'Haïti, je conteste formellement la validité du processus électoral ayant conduit à la désignation du représentant des juges de première Instance. Je recommande au CSPJ de respecter sa propre décision visant à mettre un terme aux fonctions des Doyens qui ne possèdent aucun mandat de juge et de reprendre le processus de désignation de ses membres dans le respect des conditions prévues par la loi.

 

 

___________________

Jacques LETANG

Conseiller au CSPJ

Représentant de la Fédération des Barreaux d'Haïti

 

 

 

Partager cet article
Repost0
18 octobre 2014 6 18 /10 /octobre /2014 00:27


 


Colloque sur l'Etat de droit en Haïti


Conseil de l'Ordre des Avocats du Barreau de Port-au-Prince


18 octobre 2014


 


Communication de Me Jacques LETANG :


"CSPJ : l’An trois de l’indépendance du pouvoir judiciaire ?"


_______________________________________________________

Colloque031

lien vers un article du nouvelliste : http://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/137081/La-justice-hier-et-aujourdhui.html 

 

« Chaque pouvoir est indépendant des deux autres dans ses attributions qu’il exerce séparément ». Le principe de la séparation des pouvoirs, principe cardinal de toute société démocratique, est clairement énoncé à l'article 60 de notre Constitution. Depuis 1987, je ne vous révélerais pourtant aucun secret en vous disant que notre système judiciaire n'a à aucun moment réussi à fonctionner véritablement de manière indépendante et impartiale. Bien sûr, l'indépendance ne se décrète pas. Il ne suffit pas d'utiliser de grands mots et d'envoyer chaque année ses vœux de réussite à l'institution judiciaire pour que celle-ci s'épanouisse.


En 2007, Haïti a fait un premier grand pas en passant des mots lancés au vent aux garanties cristallisées dans la loi. Les 3 lois du 13 novembre 2007 s'attaquent à trois piliers de l'indépendance de la justice : 1) la formation autonome et sur la base du mérite de magistrats compétents ; 2) l'organisation de la profession de magistrat autour d'un véritable statut les distinguant des autres catégories de fonctionnaires ; 3) la mise en place d'une institution collégiale permettant l'auto-administration. Ces trois lois représentent une avancée indéniable dans le renforcement de l'état de droit en Haïti. L'installation concrète du premier Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire le 3 juillet 2012 est venue matérialiser cette avancée, consacrant ainsi selon de nombreux commentateurs "l'an I de l'indépendance du Pouvoir Judiciaire".


Cela fait aujourd'hui presque trois ans que cette haute institution, organe régulateur chargé d'assurer et de garantir l'indépendance de ce qui devrait enfin être considéré comme un véritable Pouvoir, a été installé. En cette rentrée judiciaire 2014-2015, il est sans doute temps de réaliser un premier retour d'expérience. Alors, pouvons-nous sérieusement célébrer en ce jour "l'an 3 de l'Indépendance de la Justice"?


L'article premier de la loi du 13 novembre 2007 fait du CSPJ « l’organe d’administration, de contrôle, de discipline et de délibération du pouvoir judiciaire. Il formule un avis concernant les nominations de magistrats du siège et met à jour le tableau de cheminement annuel de tout Magistrat. Il dispose d’un pouvoir général d’information et de recommandation sur l’état de la magistrature ". DELIBERER, ADMINISTRER, ASSURER LA DISCIPLINE, GERER LA CARRIERE DES MAGISTRATS, INFORMER ET RECOMMANDER. Je vous propose aujourd'hui de réaliser un rapide survol sous forme de bilan de ces différentes attributions.


DELIBERER, d'abord. L'essence même du CSPJ est d'être une institution collégiale, composée de membres élus ou choisis au sein même du pouvoir judiciaire. L'auto-administration de la justice est un gage de son indépendance. Les décisions du Conseil n'ont ainsi de valeur que dans la mesure où elles sont prises collectivement, dans les formes prévues par la loi. Vous le comprendrez donc, nous touchons là de prime abord à l'alfa et l'omega du problème du CSPJ depuis son installation : ce principe de collégialité est sans cesse bafoué, foulé aux pieds, offert à l'appétit des puissants. Combien de fois des Conseillers ont dù dénoncer publiquement une décision prise par le Président du CSPJ au nom du Conseil ... qu'il n'avait même pas pris la peine d'informer? Je ne vous détaillerais pas ici, parmi tant d'autres, la saga de la désignation des membres du CEP, qui est loin de faire honneur à notre haute institution comme à notre pays...


L'élaboration du règlement intérieur, pour laquelle certains Conseillers - dont votre obligé - ont investi beaucoup d'efforts, devait permettre de lutter plus efficacement contre l'inertie du Conseil et les dérives corrélatives de son Président, en mettant notamment en place des commissions appelées à préparer en amont les dossiers. Si ces commissions ont permis comme nous allons le voir d'avancer concrètement sur certains dossiers, force est de constater que tant que la majorité des Conseillers, et le Président en tête, n'auront de cesse de renouveler quotidiennement leur entière soumission au pouvoir politique, nous ne pourrons même pas prononcer le P du Pouvoir Judiciaire. A noter d'ailleurs que le Règlement Intérieur, voté par le Conseil et transmis au Président de la République aux fins de publication, a été "recalé" par ce dernier pour "non-conformité"... ?


ADMINISTRER, ensuite. La loi de 2007 va loin. Elle va d'ailleurs bien plus loin que celles de nombreux pays occidentaux qui n'attribuent à leur Conseil Supérieur de la Magistrature qu'une simple fonction de discipline. Ici, la loi organise un véritable transfert de compétences du ministère de la justice vers le CSPJ. L'administration des tribunaux, l'élaboration du budget de la justice, le paiement des salaires des magistrats, entre autre tâches essentielles, reviennent au Conseil. Opération gigantesque contre laquelle le ministère oppose toujours des résistances en refusant de se départir de certains dossiers clefs, ou en cherchant à contrôler en sous-main les tâches officiellement transférées! On peut se demander au final si cette option prise par la loi n'était pas trop ambitieuse, dans la mesure où le CSPJ s'est vu confier dès sa création la tâche d'administrer l'ensemble de l'institution judiciaire sans avoir même le temps de conforter sa propre administration interne.


Et de fait, presque trois ans après sa création, le Conseil parvient à peine aujourd'hui à organiser son administration interne. Il a fallu attendre neuf mois pour avoir un secrétaire technique qui a déjà été démis de ses fonctions sans être remplacé.. Le CSPJ n'a toujours pas nommé de directeur à l'inspection judiciaire ni d'ailleurs les inspecteurs, et se contente de remercier les organisations internationales qui bouchent les trous en proposant de payer des contrats temporaires de secrétaires ou de faire sous-traiter des tâches essentielles à des consultants extérieurs, comme celle de la certification. Certains Conseillers, dont moi-même, ont du batailler jusqu'au bout contre les mauvaises habitudes visant à intégrer les employés par piston ou cooptation. Ce n'est qu'après de longues luttes que nous avons finalement pu imposer l'idée d'un avis de recrutement établi sur des critères objectifs. Reste encore à prouver que ceux-ci ont véritablement été respectés dans le choix des personnels enfin installés.... Par ailleurs, nous faut-il aborder aujourd'hui ce dernier dossier brûlant, dans le cadre duquel le secrétaire technique a été unilatéralement révoqué par le Président du Conseil sur instruction évidente du pouvoir exécutif qui le jugeait un peu trop gênant?


Comment alors espérer avoir les moyens d'administrer l'institution judiciaire pour lui permettre selon le vœu de la loi d'être plus efficace, indépendante et impartiale?


ASSURER LA DISCIPLINE. Selon les dispositions de l’article 33 de la loi portant statut de la Magistrature, les magistrats sont indépendants et n'ont pas de compte à rendre à personne en ce qui concerne leurs activités juridictionnelles. Cela ne veut pourtant pas dire qu'ils peuvent agir à leur guise en violant la loi et les droits des justiciables!! Depuis la création du Conseil, ces derniers ont tous les moyens légaux de déposer plainte contre un magistrat qui aurait violé ses obligations déontologiques. Il faut le remarquer, les justiciables ont joué le jeu, et des centaines de plaintes sont déjà parvenues au Conseil, - preuve s'il en fallait encore des dysfonctionnements massifs qui entachent notre système judiciaire. Le dépôt de ces nombreuses plaintes est selon moi une véritable étincelle qui démontre que tout espoir n'est pas perdu et que la population continue de croire en la possibilité de la justice de se réguler par elle-même.


Malheureusement, le Conseil n'est toujours pas en mesure de traiter valablement ces plaintes pour sanctionner les magistrats reconnus coupables. Il est vrai que la tâche est immense ! Mais malgré un effort soutenu de plusieurs Conseillers conscients de l'importance de cette mission, le CSPJ n'a jusqu'à présent pas été en mesure d'instruire plus que quelques dizaines de plaintes, sans pouvoir d'ailleurs toujours faire respecter ses positions par le pouvoir exécutif.


GERER LA CARRIERE DES MAGISTRATS. Cette tâche corrélative à celle de la discipline est au cœur de la mission du CSPJ, institution garante de l'indépendance des magistrats désormais protégée par la deuxième loi de 2007 portant statut de la magistrature. Ce n'est qu'en détachant le cheminement de carrière des magistrats des contingences politiques et en l'axant sur les critères d'efficacité, d'impartialité et de respect des règles déontologiques que la justice pourra se relever dans notre pays.


Nous avons beaucoup travaillé au sein du Conseil pour établir des critères objectifs sur la base desquels nous avons délibéré sur les questions de nomination et de renouvellement. Chantier le plus urgent, le renouvellement des magistrats en fin de mandat a fait l'objet d'une commission spéciale chargée de réaliser un processus de certification à titre partiel. Sur la base de ces travaux, le Conseil a régulièrement transmis en avril 2014 une première liste de demandes de renouvellement faisant l'objet d'un avis favorable, le CSPJ se réservant toutefois la possibilité de poursuivre son enquête pour les autres dossiers comportant des anomalies.


Malheureusement, le pouvoir exécutif n'a donné aucune suite à la transmission de cette liste, handicapant le fonctionnement de l'institution judiciaire et faisant monter la grogne légitime de la population. Après plusieurs mois d’attente, le pouvoir exécutif a finalement procédé de façon unilatérale, irrégulière et illégale au renouvellement du mandat de certains magistrats manifestement proches du pouvoir qui ne figuraient pas sur la liste établie par le CSPJ! Ce n'est pas la première fois que le pouvoir exécutif refuse de mettre en application les délibérations du Conseil. Au surplus, il s'est permis de procéder à la nomination, à la promotion et à la révocation de plusieurs juges sans l'avis préalable du CSPJ, tout en laissant de côté plusieurs jeunes diplômés de l'Ecole de la Magistrature qui doivent pourtant bénéficier selon la loi d'une intégration automatique dans le corps judiciaire!


Le pouvoir exécutif prouve ainsi que les clefs ne sont pas dans les mains du Conseil, malgré ce que dit la constitution, malgré ce que dit la loi, malgré ce que dit l'équipe gouvernementale avec ses "5 E". Le Conseil ne jouit aujourd'hui que d'une autorité de papier puisque toutes les décisions qui ne "conviennent pas" sont bloquées. N'arrive-t-on pas au comble du scandale quand l'on constate que l'un des membres du Conseil, représentant des magistrats des tribunaux de première instance et juge exemplaire, se voit forcer de suspendre ses activités faute de renouvèlement de son mandat par le pouvoir exécutif, ce sans aucune raison valable si ce n'est son indépendance de caractère et son implication en faveur de l'amélioration de la justice!


INFORMER ET RECOMMANDER, enfin. Le Conseil doit intervenir sur toutes questions qui touchent à l'indépendance de la magistrature. Et ce n'est pas ce qui manque dans notre pays où les scandales judiciaires font régulièrement la une de l'actualité! Exemple le plus fragrant, la mort du juge d'instruction Jean Serges Joseph, qui a soulevé tant d'interrogations légitimes l'année dernière. Malgré la mise en place d'une commission d'information sur cette affaire, le CSPJ s'est trouvé dans l'incapacité de poursuivre son enquête, devant l'attitude du Président du Conseil et l'arrogance du pouvoir politique conjuguées. Le Conseil a ainsi dû reconnaitre publiquement son incapacité à agir sur des questions qui touchent pourtant à l'essence même de sa mission.


Plus généralement, le Conseil doit chaque année produire un rapport sur l'état de la magistrature, étape essentielle pour poser un diagnostic sur les problèmes, mettre en lumière les avancées et proposer des voies d'amélioration. Je le dis clairement, le Conseil est aujourd'hui incapable de produire un véritable rapport informé et circonstancié, comme il est incapable d'ailleurs de préparer convenablement chaque année le projet de budget alloué à la justice. Sauf les interventions manifestement intempestives de certains Conseillers minoritaires, le Conseil ne fait généralement que valider de mauvaises copies fabriquées à la hâte, en sous-main, en amalgamant des informations éparses reçues des tribunaux sans aucun déplacement sur le terrain. Vraisemblablement, les choses se jouent ailleurs.


 Je le dis comme je le pense, et croyez bien que je le regrette, le Conseil n'a pas aujourd'hui les moyens des ambitions inscrites dans la loi. Lui qui devrait être la boussole de notre système judiciaire n'est finalement que la girouette des forces politiques en action. Constat amer. Permettez moi donc de ne pas fêter en ce jour avec vous l'an 3 de notre justice. Merci.

Partager cet article
Repost0
25 octobre 2013 5 25 /10 /octobre /2013 21:46

 

  communique_letang_25octobre2013-001.jpg   

 

COMMUNIQUE DE PRESSE    

en date du 25 octobre 2013

 

De Me JACQUES LETANG    

MEMBRE DU CSPJ

 

 

Actuellement en déplacement à l'étranger, je me vois dans l'obligation de diffuser le présent communiqué pour manifester mon indignation devant le comportement de M. Anel Alexis JOSEPH, Président du CSPJ, qui s'est permis de publier en date du 24 octobre 2013 une note référencée au n° CSPJ/10-2013/274, alors qu'aucune délibération n'a été préalablement réalisée en Conseil sur la question.    

Ce n'est malheureusement pas la première fois que le Président du CSPJ bafoue ainsi le principe de collégialité qui est pourtant, aux termes de la loi du 13 novembre 2007, un principe cardinal du fonctionnement de cette institution indépendante. Il est surprenant d'apprendre à la lecture de cette note que M. Anel Alexis JOSEPH s'arroge le titre de « chef » du Pouvoir Judiciaire et qu'il pense ainsi pouvoir parler au nom du CSPJ, sans tenir compte des huit autres Conseillers qu'il n'a même pas jugé bon d'informer de son initiative. En publiant cette note -qui reprend étrangement le contenu du communiqué publié par la primature le mercredi 23 octobre, note rédigée au surplus sur un papier à en-tête faisant mention non pas de l'adresse du CSPJ mais de celle du Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique, M. Anel Alexis JOSEPH soumet à la population une version très personnelle de sa conception du « principe de la séparation des pouvoirs ». Comment imaginer d'ailleurs que cela puisse relever des attributions du CSPJ de demander à quiconque de « retourner un prévenu à la Justice » et de s'insinuer ainsi dans le traitement de dossiers individuels relevant strictement des autorités judiciaires compétentes ?    

Cette intervention est d'autant plus mal à propos qu'elle vise à l'évidence à occulter le problème de fond au cœur du scandale : l'arrestation en date du mardi 22 octobre 2013, dans des conditions particulièrement problématiques, de Me André Michel, avocat accrédité au Barreau de Port-au-Prince. Cette arrestation soulève au moins trois problèmes juridiques majeurs : 1) la violation de l'article 24.3 de la Constitution qui prévoit que, sauf cas de flagrant délit, aucune arrestation ne peut avoir lieu entre 6 heures du soir et 6 heures du matin ; 2) la violation de l'article 429 du Code d'instruction criminelle, sur la base duquel une action en récusation avait été notifiée au juge instructeur, procédure qui aurait du provoquer automatiquement le sursis à l'exécution du mandat d'amener émis par ledit magistrat ; 3) la violation de l’article 53 du décret du 29 mars 1979 régissant la profession d’avocat, qui accorde aux avocats en exercice des garanties spécifiques, à même de les protéger contre l'arbitraire dans l'exercice de leur profession.    

En ma qualité d'avocat, représentant de l'Assemblée des Bâtonniers au Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire, je ne peux qu'exprimer ma plus vive préoccupation concernant les dérives actuelles mettant directement en cause l'indépendance de la magistrature, et donnant une bien mauvaise image de notre justice qui semble parfois se donner des airs de simple outil de répression politique.

 

 

 

___________________

 

Me Jacques LETANG

Conseiller au CSPJ

Représentant de la Fédération des Barreaux d'Haïti

 

Partager cet article
Repost0
21 juin 2013 5 21 /06 /juin /2013 04:33

 

Le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire a entamé une visite dans l'ensemble des juridictions du pays, qui est l'occasion à la fois de faire connaître la mission du CSPJ, de développer ses relations avec les juridictions et de vulgariser les réformes impulsées par les trois lois de 2007. Deux délégations de Conseillers traversent ainsi le pays du mardi 11 au jeudi 21 2013, à la rencontre notamment des doyens, des bâtonniers et des juges de paix de chaque juridiction. Les deux délégations se rejoindront finalement pour procéder à la clôture de cet événement le mercredi 26 juin au Palais de justice de Port-au-Prince.

Je vous propose  le texte de support de ma communication, qui s'intègre dans le cadre d'un programme plus vaste donnant lieu à des interventions de la part des autres Conseillers, du doyen et du Commissaire du Gouvernement. Reunion-CSPJ-Juges-de-Paix-CH-007-1-.JPG

 

*******************************************

 

PRESENTATION DE Me JACQUES LETANG, Membre du CSPJ :

Les missions du CSPJ et les nouvelles relations avec les juridictions

 

 

Le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire est une jeune institution qui concentre de nombreux espoirs. Sa mise en place s'inscrit dans le cadre de l'adoption des trois lois datées du 13 novembre 2007, qui viennent respectivement organiser l'Ecole de la Magistrature, doter la magistrature d'un véritable statut et enfin créer un organe régulateur chargé de l'administration du pouvoir judiciaire. .

Ces lois proposent une réforme en profondeur de la justice haïtienne, axée sur les principes d'auto-administration et d'indépendance. Il s'agit en effet de transférer un certain nombre de compétences qui étaient originellement dans les mains du ministère de la justice, vers un organe collégial  chargé de garantir l'indépendance de ce qui devient désormais le « pouvoir judiciaire ». Nous voudrions à cette occasion revenir sur les attributions du CSPJ avant de mieux comprendre la nature des relations nouvelles entre le Conseil et les juridictions.

 

1.      Les attributions du CSPJ

L'article 1 de la loi du 13 novembre 2007 créant le CSPJ prévoit : « Le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire est l'organe d'administration, de contrôle, de discipline et de délibération de ce pouvoir. Il formule un avis concernant les nominations de magistrats du siège et met à jour le tableau de cheminement annuel de tout magistrat. Il dispose d'un pouvoir général d'information et de recommandation sur l'état de la magistrature ».

Il faut noter l'importance de cette disposition. Le Conseil, organe collégial formé sur le principe de l'auto-administration et bénéficiant d'une indépendance statutaire, se voit doté de compétences qui étaient originellement concentrées dans les mains du ministère de la justice, organe du pouvoir exécutif. La différence est fondamentale. L'article 2 de la loi portant statut de la magistrature annonce clairement la couleur : « l'indépendance du Pouvoir judiciaire est matérialisée par l'existence d'un Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire garantissant le cheminement du métier de Magistrat et assurant la discipline des juges ».

Le défi est de taille, quand on sait à quel point notre système judiciaire est entaché de dysfonctionnements majeurs, soumis à des pressions de toutes sortes, confronté au jour le jour à l'arbitraire de certains acteurs et à des pratiques de corruption récurrentes. Pour sortir de ce cercle infernal, trois valeurs consubstantielles doivent absolument être mises en avant si nous voulons enfin pouvoir parler de justice dans notre pays : compétence, intégrité, indépendance. C'est autour de ces trois exigences qu'ont été heureusement conçues les trois lois de 2007.

Il m'importe de partager avec vous aujourd'hui un article essentiel de la loi portant statut de la magistrature, que tout juge devrait connaître par cœur. Il s'agit de l'article 33 qui dispose : « Les juges sont indépendants, tant à l'égard du pouvoir législatif que du pouvoir exécutif. Ils n'obéissent qu'à la loi et ne peuvent s'en affranchir, même pour des motifs d'équité. Ils sont aussi indépendants entre eux dans leurs fonctions juridictionnelles. Leurs décisions peuvent être infirmées, cassées ou annulées par les juridictions supérieures,mais celles-ci ne peuvent les contraindre à juger autrement qu'ils ne pensent »

FL-meeting-001.JPGIl faut comprendre toute la subtilité qui entoure cet article. Le juge est indépendant dans l'exercice de ses fonctions juridictionnelles : il n'a de compte à rendre à personne et la seule possibilité de contester sa décision est de recourir le cas échéant au mécanisme des voies de recours. Cependant, cela ne saurait vouloir dire que le juge peut faire ce qu'il veut selon son bon vouloir. Chaque magistrat est avant tout le serviteur de la loi : s'il sort de la voie tracée par la loi, il doit s'attendre à ce que sa responsabilité soit mise en cause et que des sanctions disciplinaires soient prises à son encontre.

C'est ici la première mission du Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire : contrôler et sanctionner tout manquement par un magistrat à la loi, à l'honneur ou au devoir de son état, tout en garantissant simultanément son indépendance statutaire.

Si la loi créant le CSPJ mentionne clairement dans son préambule la nécessité de « définir un régime strict de responsabilité, qui sanctionne les manquements individuels aux obligations des magistrats du siège et du parquet et protège les justiciables contre les abus », il faut noter que jusqu'à présent le CSPJ n'est amené à enquêter que sur les plaintes concernant les magistrats du siège, le ministère de la justice assurant encore jusqu'à présent la discipline des officiers du ministère public.

Cela représente déjà une tâche colossale. Si nous sommes ici pour encourager les justiciables et les acteurs de la justice à dénoncer les dysfonctionnements et à saisir le CSPJ toutes les fois que cela s'avère nécessaire, nous nous voyons dans l'obligation de rappeler que cette institution est jeune et qu'elle n'a pas encore trouvé sa vitesse de croisière. Il faut donc appeler à la patience, en espérant que le Conseil saura être à la hauteur de sa mission pour relever les défis qui l'attendent afin de parvenir à statuer sur l'ensemble des plaintes soumises à son appréciation.

Au-delà de ce pouvoir disciplinaire essentiel, il faut préciser que les attributions du Conseil sont bien plus vastes. Il s'agit en effet d'administrer le pouvoir judiciaire. L'évolution de chaque magistrat doit dorénavant s'inscrire dans le cadre d'une véritable carrière, suivie et organisée par le Conseil et rassemblée dans un tableau de cheminement, outil essentiel qui sera, nous l’espérons, très prochainement mis en place.

Le Conseil est ainsi appelé à intervenir, seul ou en collaboration avec d'autres institutions, sur toutes les questions relatives à la nomination, à la mise en disponibilité, à la mutation, à l'évaluation ou à la révocation des magistrats du siège, mais également des autres personnels judiciaires (greffiers, huissiers audienciers, secrétaires, ect...). Le Conseil sera également amené, très prochainement, à mettre en place conjointement avec le ministère de la justice un processus de certification qui concernera l'ensemble des magistrats en exercice.

Parallèlement, le Conseil se voit attribuer la lourde tâche de gérer et d'administrer le budget de fonctionnement alloué aux Cours et Tribunaux. Si le Conseil se révélait à même de concevoir, adopter et exécuter ce budget conformément à la loi, cela représenterait à l'évidence un gage sans précédent de garantie pour la matérialisation de l'indépendance du pouvoir judiciaire et la mise en place d'une meilleure administration de la justice.

Enfin, le Conseil possède un pouvoir général d'information et de recommandation sur toutes les questions relatives à la justice. En ce sens, il doit être toujours informé de la situation réelle de la magistrature et se doit lui même d'informer les acteurs du système mais aussi l'ensemble des justiciables de la réalité du fonctionnement du pouvoir judiciaire. Le Conseil peut en outre délibérer sur toutes les questions relatives à l'amélioration de la justice et à la protection des justiciables.

Pour mener à bien ces nombreuses et exigeantes missions, le Conseil a entamé depuis quelque temps un effort de structuration interne en mesure nous l’espérons de renforcer le principe de collégialité en son sein. C'est ainsi que six commissions permanentes ont été mises en place, chargées respectivement : 1) de l'administration ; 2) de la discipline ; 3) du suivi de la carrière des magistrats ; 4) des relations publiques ; 5) de la sécurité ; 6) des matières consultatives.

Le Conseil est également assisté par un secrétariat technique dirigé par un Secrétaire Technique, le « ST » qui a rang de Directeur Général de l'administration centrale. Ce secrétariat est composé de deux directions : celle des affaires administratives et du budget et celle de l'inspection judiciaire. Si la première doit permettre de renforcer l'administration interne du CSPJ, la seconde doit apporter un soutien incontournable au Conseil, notamment dans sa mission disciplinaire. Malheureusement, force est de reconnaître que jusqu'à présent la majorité des postes cruciaux ne sont pas encore pourvus, handicapant lourdement le fonctionnement régulier du Conseil.

2.      Les relations entre le CSPJ et les juridictions, et le rôle des doyens et parquetiers

La mise en place de cette nouvelle institution vient forcément bouleverser le mode de fonctionnement des juridictions. Celles-ci sont toujours amenées à dialoguer avec le ministère de la justice. Elles doivent cependant dorénavant se tourner vers le CSPJ pour toutes les matières relatives aux magistrats et aux personnels judiciaires d'une part, et à l'exécution du budget du pouvoir judiciaire d'autre part.

Dans le cadre de cette relation nouvelle entre le CSPJ et les juridictions, la loi redéfinit le rôle des Doyens, des parquetiers mais aussi des juges de paix, tant en ce qui a trait aux questions relatives au pouvoir disciplinaire qu'à l'administration.

1)      Tout d'abord, les Doyens sont chargés par la loi, aux côtés d'autres acteurs, de recueillir les plaintes qui concernent  les magistrats du siège et les juges de paix en poste dans le ressort de leur juridiction pour les transmettre dans les meilleurs délais au CSPJ. Dans le même sens, les parquetiers sont également chargés par la loi de recevoir les plaintes qu'ils sont pour leur part tenus de communiquer au ministre de la justice, chargé d'en assurer la transmission au CSPJ. Ces acteurs doivent donc jouer un rôle proactif, pour permettre au Conseil d'être réellement informé des dénonciations relatives aux agissements des magistrats.

2)      Ensuite, les Doyens sont chargés de recevoir les rapports dressés par les juges de paix de leur juridiction concernant leurs activités, rapports qu'ils transmettent au CSPJ. Il s'agit ici d'une transformation notable puisqu'auparavant, le juge de paix n'entretenait des liens qu'avec le Commissaire du Gouvernement de sa juridiction. Cette évolution s'inscrit dans l'esprit général de la réforme, qui place dorénavant les juges de paix sous l'autorité disciplinaire du CSPJ, tout en conservant le statut d'Officier de Police Judiciaire relevant de l'autorité des Officiers du Parquet dans le cadre de leurs attribution pénales. Il faut bien saisir cette transformation, qui va nécessairement impliquer une redéfinition des rapports entre les parquetiers et les juges de paix. Les parquetiers, représentants de l'exécutif dans le judiciaire, restent soumis à l'autorité à la fois hiérarchique et disciplinaire du ministère de la justice. Au contraire, l'indépendance des juges de paix est garantie par la loi dans leur activité juridictionnelle.  A ce titre, ils relèvent du CSPJ en matière disciplinaire au même titre que les autres juges du siège. Ils ne sont par ailleurs pas soumis à l'autorité hiérarchique du ministère de la justice à travers les parquetiers, même si en matière pénale ils conservent un lien fonctionnel avec ces derniers.

3)      Enfin, le rôle d'administration confié aux doyens est renforcé. Chaque doyen concourt à la préparation du budget pour ce qui concerne sa juridiction. Il doit réaliser et transmettre des rapports sur le fonctionnement de la justice dans sa juridiction. Le bon accomplissement de cette mission est essentiel pour permettre au CSPJ d'administrer convenablement le pouvoir judiciaire à l'échelle du pays.

 

Merci.

 

Partager cet article
Repost0
19 janvier 2013 6 19 /01 /janvier /2013 21:48

 

Article publié dans Le Nouvelliste le 13 décembre 2012.

 

 

haiti-portait_011-r600.jpgDepuis près de dix ans, une réforme se prépare au sein de la société haïtienne, avec comme leitmotiv le concept de « paternité responsable », principe appelé à lutter contre la situation dramatique de dizaine et de dizaine de milliers d'enfants haïtiens qui vivent sans père légalement reconnu. Si la polygamie est formellement interdite en Haïti, il est cependant fréquent de voir des hommes entretenir parallèlement plusieurs familles et des femmes enchaîner des unions desquelles naissent des enfants de pères différents. Si cette situation n'est pas nouvelle, il faut bien constater le caractère de plus en plus précaire des unions et la multiplication comme l'appauvrissement des foyers monoparentaux.

            L'archaïsme de la loi n'arrange rien. Celle-ci conserve en effet des résidus de discrimination hérités du vieux code Napoléon. Partageant le même héritage juridique, la France a pourtant, comme de nombreux pays occidentaux, modifié sa législation. Les réformes réalisées notamment en 1972 et en 2005 ont permis l'égalisation du statut des enfants et l'abolition des différences faites entre eux sur la base de la situation matrimoniale de leurs parents. Si le droit haïtien a lui même connu des évolutions, notamment avec le décret-loi du 22 décembre 1944 et le décret 27 janvier 1959 qui sont venus affirmer l'égalité des droits entre les enfants naturels et les enfants légitimes, la législation nationale discrimine toujours de trop nombreux enfants.

            L'article 306 du Code Civil dispose en effet que la reconnaissance paternelle ne peut avoir lieu au profit des enfants incestueux et adultérins, ceux-ci ne pouvant dès lors ni porter le nom de leur géniteur, ni hériter de ce dernier. En outre, si le décret de 1944 est venu élargir substantiellement le mécanisme de recherche de paternité prévu à l'article 311, force est de constater que cette disposition fondamentale n'est pas appliquée dans la pratique judiciaire. Dans les faits, les femmes ne disposent donc pas de réels moyens de contraindre un homme à reconnaître son enfant si celui-ci ne le désire pas, et ne peuvent en conséquence bénéficier de la protection de la loi, notamment en matière de créance d'aliments.

            La Constitution du 29 mars 1987 s'est pourtant clairement prononcée en faveur de l'égalité du statut des enfants. L'article 260 de la Constitution proclame en effet que l'Etat « doit une égale protection à toutes les familles qu'elles soient constituées ou non dans les liens du mariage ». Au surplus, l'article 262 prévoit qu'un « Code de la Famille doit être élaboré en vue d'assurer la protection et le respect des droits de la Famille et de définir les formes de la recherche de la paternité ». La loi mère est donc on ne peut plus claire : contre une conception moraliste de la loi qui veut imposer le modèle matrimonial et exclure tout ce qui n'y est pas conforme, la Constitution privilégie une vision libérale de la société et une conception progressiste du droit, dont le but serait d'accompagner les réalités sociales et non de les nier. Pourtant, plus de 25 ans après cette proclamation, la situation de nombreux enfants et de leur mère demeure particulièrement critique.

            Un avant-projet de loi sur « la Paternité et la filiation » a été élaboré dès les années 2005 sur l'initiative du Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes, dirigé alors par la Ministre Marie Laurence Jocelyn Lassègue. Cet avant-projet, qui a fait l'objet de plusieurs consultations, proposait un texte relativement bien construit, qui a cependant connu de profondes modifications sur la forme comme sur le fond lors de son examen devant la Chambre Basse.

            Souhaitant modérer l'image trop « féministe », les parlementaires ont tenu à inclure dans le texte la question de la maternité, avec l'argument de vouloir traiter de manière égale des matières qui répondent pourtant à des problématiques à l'évidence différenciées. Le texte ainsi remanié, intitulé désormais « Loi sur la Paternité, la Maternité et la Filiation », a été adopté par les Députés le 10 mai 2010 et par les Sénateurs le 12 avril 2012. Cette loi, qui n'est toujours pas en vigueur faute de promulgation par le Président de la République, est malheureusement truffée de nombreuses approximations et imperfections.

            Sur le fond, le texte se propose de supprimer l'exclusion des enfants adultérins et incestueux. L'article 1 de la nouvelle loi s'énonce comme suit : « il est établi le principe de l'égalité des filiations légitime, naturelle, adoptive ou autres, impliquant nécessairement l'égalité entre tous les enfants qu'ils soient de couples mariés ou non ». Si l'affirmation de l'égalité des filiations est essentielle, on peut cependant regretter cette énonciation vague et peu convaincante... Plutôt que de maintenir les catégories tout en évitant le recours au concept d'enfant adultérin, il aurait été préférable, sur le modèle de la réforme française de 2005, d'uniformiser le droit de la filiation. C'était d'ailleurs le choix retenu par l'avant-projet qui proposait qu'« aucun qualificatif ne peut être attribué à un enfant en raison du statut de ses parents au moment de la naissance ».

            Le texte consacre par ailleurs de nombreux articles à la définition d'une nouvelle procédure en matière de recherche de paternité et de maternité. Selon l'article 5 de la loi, l'action « sera assujettie à une ordonnance permissive du Doyen » avant d'être « inscrite dans un registre ou rôle non public ». Pourtant, l'article 7 ne fait aucune référence à cette procédure préliminaire en affirmant que l'action sera introduite par devant le Juge des référés. L'article 7 précise plus loin que la décision du Juge des référés ne peut être susceptible que de Pourvoi en Cassation.

            On ne peut que rester dubitatif devant le caractère hésitant et contradictoire de ces dispositions. Comment vont s’enchaîner dans les faits ces différentes étapes ? Si le choix du Juge des référés peut se comprendre vu l'urgence, l'intervention du Doyen ne risque-t-elle pas d'alourdir la procédure sans apporter de bénéfice réel ? De plus, les articles se contredisent en évoquant alternativement le caractère « primordial » du « principe du contradictoire » et le fait que le jugement sera « réputé contradictoire », ce qui signifie pratiquement l'inverse !  De surcroît, aucun délai pour agir n'est mentionné dans le texte... Cela laisserait donc sous-entendre que l'action pourra être introduite sans limite temporelle aucune ?

            Sur le plan de la forme, le texte souffre de nombreuses faiblesses et aligne des articles déséquilibrés et mal agencés, certains comportant plus de cinq alinéas traitant de sujets différents. Loin de proposer un  « Code de la famille » clair et homogène, le texte contient des articles propres, des articles modifiant le Code Civil, et d'autres modifiant le décret de 1959, compliquant ainsi sa lecture et la compréhension des dispositions applicables en la matière. La rédaction est par ailleurs hésitante, désignant successivement des titulaires de droits différents comme « la femme ou l'homme », « le tuteur ou la tutrice », « le parent », ou même encore « l'enfant demandeur »...

            Le texte contient également des dispositions particulièrement incongrues, comme le fait de prévoir une « présomption de paternité » établie à l'égard du défendeur sur la base de la simple introduction d'une action à son encontre, ou encore une sanction pour « dénonciation calomnieuse » à l'encontre du demandeur si le test ADN se révèle négatif (ce qui est pour le moins inapproprié puisque la calomnie ne concerne que la dénonciation en matière pénale, alors qu'il s'agit ici d'une affaire purement civile!). Plus étonnant encore, le texte semble exclure à priori du champ d'application de la loi le personnel diplomatique et consulaire... ainsi que les membres du saint siège ! Ce qui laisserait entendre que tous les enfants seraient égaux devant la loi, sauf les enfants des prêtres, ces derniers n'ayant rien à craindre de leurs écarts !!

            A un autre niveau, on peut se questionner sur l'impact général de cette réforme qui fait de la preuve biologique le nouveau socle du droit de la filiation. En cette matière, le droit entend intégrer les évolutions de la science qui permettent aujourd'hui de prouver avec certitude le lien génétique unissant un enfant à ses géniteurs. Mais il faut cependant être conscient que ce nouvel outil est pratiquement inconnu de la majorité de la population, exception faite des demandeurs de visa américain, les résultats des tests exigés par l'ambassade provoquant d'ailleurs souvent des situations inattendues et délicates...

            Au fond, la question posée est celle de savoir ce qui « fabrique » le lien de parenté au sein de la société haïtienne. S'agit-il uniquement du « sang » ? Une grande place n'est-elle pas accordée à la volonté, aux circonstances particulières de chaque parcours et aux liens tissés au quotidien ? Le droit français a maintenu pour sa part un mécanisme alternatif : celui de la possession d'état, permettant d'établir ou de prouver une filiation sur la base de la réalité vécue. Si la possession d'état est prévue dans le droit haïtien en matière de filiation légitime, la réforme n'envisage malheureusement pas de l'étendre à la filiation naturelle...

            La référence exclusive aux tests d'ADN (à l'exclusion d'autres modes de preuve, comme l'évoquait pourtant l'avant-projet de loi) pose également des problèmes d'applicabilité. Existe-t-il vraiment en Haïti les moyens techniques permettant de répondre à cette éventuelle demande ? On peut aussi se poser la question du coût disproportionné de telles mesures, les tests ADN restant relativement coûteux. A ce sujet, l'article 7 prévoit maladroitement l'adoption d'un décret d'application relatif à « des crédits budgétaires destinés à couvrir le coût des tests d'ADN au profit des petites bourses »... Cela pourra-t-il être effectif ? Quand et comment ? ...

            Autre problème majeur, celui de la rétroactivité de la loi.  Le texte s'appliquera-t-il aux enfants déjà nés, y compris aux personnes déjà adultes ? Si le principe général en droit est celui de la non rétroactivité des lois, une exception est prévue pour les lois relatives au statut et à l'état des personnes, qui sont généralement d'application immédiate... Or, le droit de la filiation concerne bien évidemment l'état des personnes, mais pas seulement... La loi elle-même n'est pas claire : si l'article 311 modifié prévoit que la recherche de paternité ou de maternité sera « applicable à tout enfant né sous l'égide de la présente loi », le texte reste toutefois muet sur le cas des enfants adultérins et incestueux... Les enfants compris dans cette catégorie, y compris ceux nés avant cette loi, pourraient donc selon une interprétation à contrario en tirer les avantages !?

            On voit ici l'importance cruciale de ces controverses juridiques, qui auront dans les faits un impact majeur sur l'organisation de chaque famille en Haïti, risquant de provoquer sur la base d'interprétations divergentes des conflits sans fin. L'avant-projet de loi s'inspirait pour sa part de l'esprit de la réforme française en proposant un principe plus clair, admettant la rétroactivité des dispositions prévues dans le texte au nom du principe d'égalité, mais en excluant toutefois les « successions déjà ouvertes avant la date de sa promulgation ». Le caractère approximatif des dispositions du texte adopté sera, à l'évidence, facteur d'incertitude, situation particulièrement néfaste au principe fondamental de la sécurité juridique.

            Plus globalement, on peut se montrer très pessimiste concernant la mise en vigueur de cette loi, non seulement au regard de toutes les limites déjà relevées dans le texte lui-même, mais aussi au regard du peu d'attention que cette réforme suscite de la part des autorités comme des différentes institutions et ONGs. Le Gouvernement comme l'actuel Ministère à la Condition Féminine ne se montrent pas particulièrement concernés par cette réforme. Preuve en est : toujours pas de promulgation du texte ! Quant aux différentes institutions, ONGs et organisations de femmes celles-ci semblent davantage concernées par les problématiques relatives à l'enfance en domesticité, à l'adoption ou aux violences faites aux femmes. En tout état de cause, aucun programme d'envergure n'est semble-t-il envisagé pour favoriser la diffusion et l'application du texte adopté.

            Or, sans un véritable accompagnement dans la mise en œuvre du texte législatif, cette réforme risque d'être confrontée à deux écueils : celui de passer totalement inaperçue faute d'être connue et maîtrisée par la population et par les acteurs concernés ; mais d'autre part et parallèlement, celui de générer, faute d'une ligne claire, un formidable désordre. Au vu du caractère très sensible des questions liées aux successions et à la propriété foncière en Haïti, on ne peut que présager des déchirements et des dénouements douloureux pour de nombreuses familles, conséquences fâcheuses bien éloignées de l'esprit de la réforme, imprégné des impératifs de justice sociale et de l'égalité de tous et de toutes devant la loi.

 

Pauline LECARPENTIER, Juriste française, Doctorante en sociologie du droit à l'EHESS-MARSEILLE 

Jacques LETANG, Avocat haïtien, Master II en Droit (Lyon), spécialiste des droits humains,

Partager cet article
Repost0
23 août 2012 4 23 /08 /août /2012 04:07

PROTESTATION OFFICIELLE DU BATONNIER DU BARREAU DES COTEAUX

Me JACQUES LETANG CONTRE LA DESIGNATION UNILATERALE DES TROIS MEMBRES DU CEP PAR LE PRESIDENT DU CSPJ M. ARNEL ALEXIS JOSEPH

 

 

 

En date du 24 juillet 2012, la Présidence de la République haïtienne a publié un communiqué de presse dans lequel elle dit prendre acte de la désignation par le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire des trois personnalités devant intégrer le nouveau Conseil Électoral Permanent conformément aux dispositions prévues par la Constitution amendée.

 

Face à cette situation qui a provoqué une crise depuis bientôt trois semaines, nous nous voyons dans l'obligation de protester de manière véhémente contre la procédure manifestement irrégulière et illégale qui a donné lieu à cette désignation contestable et contestée.

 

Je tiens à rappeler que la désignation des trois membres du Conseil Électoral permanent par le CSPJ tel que prévu à l'article 192 de la Constitution amendée doit se faire en conformité aux dispositions tracées par la loi du 20 décembre 2007 créant le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire. Aux termes de l'article 13 de cette loi  : « Le CSPJ ne peut délibérer qu'en présence de cinq au moins de ses membres. Il se prononce à la majorité des voix. En cas de partage des voix, celle du Président est prépondérante ».

 

Malheureusement, ces dispositions ont été foulées aux pieds par le Président du CSPJ qui s'est permis de réaliser un vote relatif à la désignation des membres du CEP en l'absence du quorum requis par la loi. Une telle désignation ne saurait refléter le choix de l'institution judiciaire, mettant ainsi en danger son indépendance et son impartialité, comme celles des membres censés être désignés par elle.

 

L'attitude du Président du CSPJ et de ses complices est particulièrement inquiétante et viole manifestement le serment qu'ils ont prêté lors de l'installation du CSPJ le 3 juillet de cette année et qui s'énonce comme suit : « Je jure de respecter la Constitution, les lois et les règlements de la République, de veiller au fonctionnement régulier du Pouvoir Judiciaire et à la protection des droits des justiciables ».

 

Cette situation déplorable illustre de manière significative les problèmes insolubles soulevés par la promulgation des amendements constitutionnels par le Président de la République, qui a fait fi de toutes les réserves et objections produites par différents secteurs de la vie nationale.

 

Face à ces violations en série, le Président de la République n'a d'autre choix que de considérer comme nulle et non avenue la transmission irrégulière de ces noms intervenue en marge de la loi. Il parait aussi logique que le président du CSPJ assume ses erreurs et se démette tant de la présidence du CSPJ que de la présidence de la Cour de Cassation afin de permettre à l’institution judiciaire de sauvegarder les valeurs fondamentales qui la caractérisent.

 

 

 

 

Me Jacques LETANG, Batonnier de l’ordre des Avocats des Coteaux

Vice-Président de la Fédération des Barreaux d’Haïti

Partager cet article
Repost0
22 janvier 2012 7 22 /01 /janvier /2012 23:11

 

Vous pouvez retrouver sur youtube l'enregistrement vidéo de la plaidoirie finale de Me Jacques LETANG, avocat de la partie civile dans l'affaire de la prison civile des Cayes:

 

 


 

 

 


 

 

 


 

 


 

 

 

Partager cet article
Repost0
16 décembre 2011 5 16 /12 /décembre /2011 16:24

 

Le procès des Cayes concernant les 13 policiers accusés d'exécutions sommaires le 19 janvier 2010 dans la prison civile des Cayes s'est terminé mercredi 15 décembre 2011.

Le Conseil de la partie civile n'a cessé de contester la façon dont les victimes ont été traitées dans ce procès. Voici les conclusions écrites soumises lors des débats généraux:

 

 

 

Conclusions écrites de la partie civile :

 "Le déroulement de la procédure pénale suivie depuis les événements du 19 janvier 2010 ayant abouti en ce jour à la clôture des débats généraux a fait l'objet de nombreuses défaillances et est générateur d'un déséquilibre certain et incontestable au préjudice des victimes.

Non seulement celles-ci n'ont bénéficié d'aucune information de la part des autorités judiciaires ni d'une quelconque assistance judiciaire, mais elles ont également été tenues à l'écart  du procès. La plupart des détenus blessés, victimes directes, ont été amenées sans connaissance de cause à prêter serment en tant que témoins, ce qui leur a ravi le droit de se porter partie civile dans ce procès.

Par ailleurs, la constitution de partie civile pour d'autres victimes a été continuellement remise en cause : 1) exigence de procédés non conformes à la loi; 2) revirement spontané du Président du Tribunal sur des incidents préalablement évacués; 3) Traitement inégal du temps de parole des parties; 4) refus de demandes d'actes de façon récurrente à la partie civile; 5) interdiction à la partie civile de participer à l'interrogatoire des accusés; 6) huit clos réalisé sans la participation du Conseil de la partie civile entre le Président du tribunal, le ministère public et le Conseil de la défense; 7) violation de façon répétée du principe du contradictoire et du principe de l'égalité des armes; 8) violation du principe d'indépendance et du principe d'impartialité du tribunal; 9) remise en question surprenante de la qualité de partie civile de Madame Abner Lysius née Marie Michèle Laurencin, qualité lui ayant été préalablement accordée par ce même tribunal.

Fort de tout ce qui précède, le Conseil de la partie civile considère que les victimes ne bénéficient d'aucune sécurité juridique et de garanties essentielles au procès équitable énoncées aux articles 1, 8, 24, 25 et de la Convention américaine des droits de l'homme.  Ces nombreuses défaillances sont constitutives de violations des droits des victimes et font peser un doute légitime sur l'impartialité et l'indépendance du tribunal.

Dans ce cadre, le Conseil de la partie civile ne saurait envisager, et comme de fait n'envisage pas, de produire devant ce tribunal une demande de réparation en dommages et intérêts des préjudices subis et se réserve le droit de produire sa demande combien légitime par devant qui de droit."

Partager cet article
Repost0
1 novembre 2011 2 01 /11 /novembre /2011 22:08

 

 

Depuis trois semaines a débuté au Tribunal de première Instance des Cayes le procès de policiers dans le cadre des évenements survenus à la prison civile des Cayes le 19 janvier 2010.  

 

Ce jour là, plus d'une dizaine de prisonniers auraient été tués par des policiers de la PNH, qui auraient ensuite cherché à masquer les faits en faisant notamment disparaitre certains corps. Dans le cadre de ce procès, Me Jacques LETANG est avocat de la partie civile aux cotés de plusieurs victimes, en partenariat avec l'organisation de défense des droits humains RSDDH.

 

On peut retrouver en ligne des articles pertinents ainsi que plusieurs vidéos réalisés par le NEW YORK TIMES dans le cadre d'un travail d'investigation approfondi :

 

 

  http://video.nytimes.com/video/2011/11/01/world/americas/100000001146616/haiti-the-police-on-trial.html

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0